Vendredi saint
Le millénaire de la ville de Neuchâtel vibre doucement en plein mystère pascal, par hasard de calendrier. Sur les ondes de la radio suisse romande, l'ami Jelmini n'en finit pas ce matin de ruminer les restes de transcendance huguenote qui semblent étrangler sa conscience de catholique des vallées traversières. Il parle du mépris de l'arc lémanique envers la cité de Farel et de Piaget, comme si lui-même et ses concitoyens ne sortaient jamais de Novum Castellum, craignant l'air du large et le reste du monde; comme si, nous autres Neuchâtelois exilés à Genève, Lausanne, Berne, Fribourg ou Zurich, ou encore à Paris et à Pékin, ne vibrions pas tout autant de la flamme britchonne. C'est le contraire qu'il faut dire, en généalogiste hardi surmontant la myopie historienne: Neuchâtel manque d'envergure, quand il se replie sur son passé. L'affaire du Cube l'a bien montré, j'ai essayé d'en dire les enjeux dans la revue Itinéraires (« Cube ou La quadrature du sacré. A propos d’un rendez-vous différé des Neuchâtelois et des Suisses avec leur avenir », Itinéraires 73, 2010-2011, p. 21-23). Il est d'autant plus regrettable que le magnifique ouvrage Neuchâtel 1011-2011, si volumineux et détaillé, n'ait pas trouvé la moindre place pour la Faculté de théologie de l'Université (que ce soit dans le bâtiment central de l’Université (salle C 50) ou ensuite Faubourg de l’Hôpital 41). L'auteur a préféré s'étendre sur les sciences et l'EPFL, ou donner une liste interminable et complaisante de joueurs de football de Cantonal et de Neuchâtel-Xamax. Plus opportuniste que critique, à vrai dire. C'est ce qui s'appelle s'incliner devant les vaches à lait de l'arc lémanique et de la footballistique, au lieu de porter haut la culture qui émancipe et qui dérange. Allons Jean-Pierre, un troisième tirage s'impose, on ne dira pas que tu auras été soudoyé par l'industrie du tabac si tu redonnes encore un peu plus de place au protestantisme moins dominateur que tu le crains.
A propos de football: Neuchâtel vit des heures roubles. Le public de la Maladière Bis (la froide rouge et noir, avec son odeur de relégation, à l'humus manquant du sentiment d'éternité de la Maladière ancienne !) ne se le fait pas dire, qui ironise à longueur de matches sur les roubles russes ou les roupies tchetchènes qui bientôt vont payer les primes et les subprimes des futurs candidats à la Champions League. Les chorales mal élevées et mal formées du cop côté Riveraine sont plus douées pour entonner « Arbitre enculé » que pour s'adapter au rythme réel du match. Il y a aura des progrès à faire pour atteindre le niveau anglais. Les chefs de choeur font pourtant face à un panneau en gros caractères: « Respectez l'arbitre. Respectez l'adversaire ». Il faudra déjà éviter la relégation directe, ou vaincre Vaduz, Servette ou Lausanne en barrage. Et ensuite, surtout, retrouver dix mille spectateurs et les émois d'antan, lorsque Daniel don Givens, Philippe Perret, Robert Lüthi ou Heinz Herrmann s'ajoutaient aux Fribourgeois Mottier, Corminboeuf ou Chassot pour fédérer la région des trois Lacs autour d'un projet populaire.
Xamax tout seul n'y suffira pas, moitié de club pas assez en fusion. C'est Neuchâtel-Xamax qui doit jouer et avancer. Ce club sera ce que cette ville et ce canton deviendront: un mouvement social, un réseau, une résonance, un effet papillon, et pas simplement le club bingo et bling-bling de quelques aparatchniks incapables de regarder plus loin que le périmètre d'un ballon.
Bon: je me suis mis en colère et en verve un Vendredi-saint de Millénaire. Me reste à traverser le samedi avant d'atteindre l'aube pascale et la nuit aux cent mille bougies. Et de me préparer à un 2e millénaire de Neuchâtel, plein d'imagination et de créativité. A partir de lundi, chacun aura le droit de dire: le match du 2e millénaire. Le premier nouvel hôpital du 2e millénaire. Et on pourra rebaptiser le stade synthétique de la Maladière Bis: Le stade du Deuxième millénaire. Avec comme sous-titre éditorial: Un sentiment de déjà vu.
Réponse de Jean-Pierre Jelmini (matin de Pâques)
Mon cher Denis,
C'est curieux ce besoin (pavlovien?) qui t'a saisi au matin du Vendredi Saint de vouloir clouer quelqu'un au pilori! Que ç'ait été mon tour ne me dérange pas en soi, mais que tu l'aies fait avec de si mauvais clous, voilà qui me navre et m'étonne de ta part. Ma réponse se devait donc de tomber le jour de Pâques.
Ayant été le premier des historiens locaux à clairement détronquer de ses origines protestantes la fameuse "pingrerie" neuchâteloise pour la rattacher à la pauvreté de nos sols et à la rareté des biens qu'on en tire depuis bien avant 1530, je me sens tout à fait à l'aise dans l'air réformé du pays, même né catholique dans les "vallées traversières". Hélas, je ne manie pas aussi bien que toi les concepts abstraits qui me permettraient de comprendre ce qui se cache derrière le prétendu étranglement que tu évoques. C'est sans doute pour cela que j'ai jadis renoncé aux spéculations théologiques pour me pencher sur les faits - même évidemment relatifs - de l'histoire.
Par grandeur d'âme, je ne m'arrêterai pas sur le n'en finit pas aux consonances si cordialement méprisantes. Mais je ne laisserai pas passer tes commentaires sur l’absence de la Faculté de théologie dans mon livre. Je te sais infiniment trop intelligent pour n'avoir pas compris que mon ouvrage est exclusivement consacré à la Ville de Neuchâtel et aux institutions qui en dépendent: ce que n'est pas formellement l'Université de Neuchâtel. J'ai donc choisi de n'évoquer dans mes mille et un articles que les bâtiments universitaires qui poinçonnent l'espace urbain de notre ville. Or, à ma connaissance, s'il y a une Université à l'Avenue du 1er Mars, une Faculté des Sciences au Mail et une Faculté des Lettres au bord du lac, il n'existe aucune Faculté de Théologie (ni de Droit d'ailleurs) qui aurait mérité une mention dans cet ordre de choses. En revanche, tu auras peut-être constaté avec quel respectueux soin de détail j'ai mentionné la magnifique Bibliothèque des Pasteurs, dont mon livre va jusqu’à indiquer l'adresse actuelle exacte. J'attends donc de ta part, l'heure et le lieu d'où nous partirons ensemble pour Compostelle!
Concluons enfin sur le football dont nous partageons la passion. Tu me trouves complaisant à énumérer des footballeurs de Cantonal et de Xamax. J'accepte volontiers cette remarque mais, comme mon ouvrage se veut un guide amical pour amener le grand public à mieux connaître sa ville, j'ai considéré, sauf ton respect, qu'il était peut-être plus convivial à l'égard de la grande majorité de mes lecteurs de citer une liste de footballeurs dont les noms sont restés gravés dans les cœurs des Neuchâtelois (et ce n’est pas à toi, homme et auteur, qu’il faut le rappeler), plutôt que d'énumérer les illustres théologiens de notre Université. Il en fut de remarquables, d'excellents, de bons et même … de modestes, dont je salue l'un ou l'autre au passage, en particulier dans les vallées traversières!
Mon cher Denis, je te souhaite une longue vie, par amitié bien sûr, mais aussi pour donner un peu de repos à Dieu le Père, sans doute suffisamment ébranlé par la récente arrivée de notre ami commun Jean-Louis, pour qu'il mérite encore un peu de répit avant ton débarquement en Paradis!
Jean-Pierre
Denis invité à Forum (soir de Pâques)
J'ai répondu de chez moi sur Forum pendant que Jean-Pierre devait siroter quelque dive bouteille ! l'Histoire ne se réduit pas à des bâtiments - quoique la théologie ait connu à Neuchâtel le bâtiment central (salle C 50) avant de se réfugier dans l'ancien Foyer des étudiants de Faubourg de l'Hôpital 41 - mais à des bâtiments habités par des hommes et parfois même des femmes: Paul Humbert, Maurice Neeser, Jean-Louis Leuba, Jean-Jacques von Allmen, Philippe Menoud, Robert Martin Achard, Albert de Pury, Jean Zumstein, Willy Rordorf, Gottfried Hammann, Pierre Bühler, Martin Leiner, Pierreluigi Dubied, Félix Moser, Martin Rose, Lytta Basset - sans oublier parmi les étudiants qui en ont bénéficié, Jules Humbert Droz, Edmond Jeanneret, Theo Buss ont animé la vie théologique neuchâteloise. J'accepte bien volontiers de ne compter ici que par les quelques docteurs en théologie de cette minuscule alma mater - seul l'exil lausanno-genevois m'ayant donné des ailes ! Est-ce que cette liste de témoins « académiques » ne vaut pas tout autant de figurer dans l'histoire courte et récente de Neuchâtel, comparée à l'énumération intégrale des équipes de foot de la Maladière ? Et puisque je suis cité dans la bienheureuse liste des récipiendaires du Prix de l'Institut neuchâtelois - à la suite de Denis de Rougemont, d'Edmond Jeanneret, de Monique Laederach et du cher Jelmini lui-même, comment se fait-il que les lauréats du Mérite sportif neuchâtelois (pas moins cantonal, pourtant, que le prix de l’Institut ?) n'y figurent pas, tel que le modeste ouvrier de la Feuille d'avis de Neuchâtel Gabriel Müller dit Pompon (1914-1970), dont je m'honore d'être le fils ? Je sais bien : tout livre d'Histoire, quelque soit sa profondeur de champ historique, heurte le lecteurs contemporains, qui voudraient bien s'y trouver mieux honorés. Mais un tel pavé qui peut se permettre un deuxième tirage en rien de temps, corrigeant les données sur la Cube du CAN, a sans doute encore la souplesse de quelques compléments ? Car le livre, Darnton nous le rappelle dans son Apologie, est la constante évolution d'une vibration imparfaite. L'auteur ne peut que boire du petit lait à l'idée que ses lecteurs s'en emparent et s'engagent pour sa refonte.